mercredi 30 septembre 2009

American Leitmotiv - Hiroshi WATANABE

   
Genolier (Suisse)

jusqu’au 17 octobre 09



Les oeuvres de Watanabe exposées à Genolier sont des travaux effectuées de 1996 à 2002. Un voyage à travers des Etats-Unis du Nevada à la New Orleans, en passant par New York, Philadelphie, Hawaï. Mais le regard de l’artiste japonais est si particulier qu’apparaît un autre pays, bien différent des représentations habituelles : ni rêve américain, ni misérabilisme, une vision très esthétique et symbolique du pays de la liberté.


 Un regard au travers de voiles, textures, profile des formes en contre-jour : un théâtre d’ombres, de contrastes, qui efface les multiples détails,  silhouette nocturne dans une pièce, oiseaux ..  la forme touche à l’universel, devient symbole, le sens se superpose au visible.  


Reflets, comme ces arbres et chemins s’enfonçant sur le métal gravé de noms du mémorial. Evoquant un autre paysage : à la limite de l’imaginaire : un monde invisible qui prend forme. 

Le miroir qui oppose les deux mondes, les superpose, le rêve et la réalité ? Sont-ils vraiment indissociables ? Il y a celui à travers lequel on voit l’autre, mais quel est le plus réel ? 


Visions déformées qui questionnent le réel, telles ces énormes bulles de savons, rondes et translucides, objectifs déformants, portent notre regard plus loin, qui plonge vers quelque chose d’inatteignable.

A travers quoi voit-on le monde ? Qui donne sens aux visions ? Comme si le plus éphémère seul révélait la beauté.  Eclose dans l’instant seulement. 


Des lieux emblématiques  autant de symboles dans l’histoire des Etats-Unis, Lincoln memorial, Gettysburgh, Mémorial de la guerre du Vietnam, Ellis Island..Wall Street.. 


En filigrane les questions de la liberté, du sacrifice et de la mémoire : qu’est ce qu’un lieu de mémoire ? Que commémore-ton ? Que reste-il de l’individu fondu dans l’histoire collective, de ces milliers de vies disparaissant derrière les noms gravés ?



La plupart des photographies de cette exposition sont tirées des ouvrages de H. Watanabe :


Findings, Portland, éd. Photolucia


Veiled Observations and Reflexions, 2002


dimanche 27 septembre 2009

Ara Güler - Lost Istanbul, Années 50-60


Maison européenne de la photographie, Paris

du 9 septembre au 11 octobre 2009

Ara Güler, (1928, -). Reporter-photographe pour Time Life, Paris Match, Der Stern, dès 1961 agence Magnum.




Le monde ouvrier non pas réduit à son geste de travail, mais dans ce qu’il a de plus humain encore : les interstices : les moments d’échanges, les discussions sur un ponton de quai, là où l’on prend le temps d’écouter, de regarder son interlocuteur. Où le travail c’est d’abord une relation, pas encore aliénée par le monde industriel.

L’homme toujours plus qu’un simple travailleur, tel vieux pêcheur, un chapelet à la main, ou ces trois personnages sur le pont de Galata, contemplant les fumées du port, ou ce marchand de tissus plongé dans sa lecture.

L’homme dans son humanité profonde : qui va au-delà de la simple activité : contemplateur, communiquant, tourné vers l’autre, vers le passé, vers l’au-delà. L’homme n’est jamais réductible à sa simple fonction économique, il n’est jamais seulement ouvrier, commerçant, pêcheur : Les différentes dimensions de la pensée : la mémoire et la nostalgie, de ceux qui regardent le monde changer, le paysage se transformer et leur histoire lentement effacée. L’homme religieux, celui qui se souvient, la femme silhouette mystérieuse


Les cafés : le temps après la journée, encore un interstice : où l’on joue, bois ou dors. La rue, pierres polies et irrégulières, lieux de vie, où l’on prend du temps, où l’on s’arrête, parle, jeux d’enfants. Les lieux de prière : espaces hors du temps profane : lieux du Désir, de la demande, de l’attente..

En contraste, la ville moderne et ses foules, les visages n’apparaissent plus, de simples silhouettes lointaines, furtives, remplacent la présence ancrée dans le temps des pêcheurs des artisans.

Les lignes du tram, les perspectives nous éloignent. Deux univers aux rythmes différents, telles ces charrettes et chevaux ralentissant le passage du tram. Deux mondes qui cohabitent. Pour combien de temps encore ?

Une ville moderne comme toutes les autres, taxis, bars de nuit, quais de gare, enseignes lumineuses semble prendre la place de l’autre..de ces lieux de vie ; où les rues sont les places de jeux des petits, lieu de rencontre des vieux assis sur le trottoir.

La mer, personnage féminin de la ville, omniprésente, lieu de profusion : ces pêches luisantes, comme des offrandes archaïques, mais aussi de séparation, départs, attente entre deux voyages. On s’attendrait presque à y croiser Corto..dans un contre jour sombre et lumineux.


A lire : le magnifique texte d’Ohran Pamuk en ouverture du catalogue sur sa mémoire de la ville


L’expo est organisée dans le cadre de la saison de la Turquie en France


Catalogues : Istanbul, Paris, éd. du Pacifique, 2009, 180 p. texte de Ohran Pamuk

mercredi 23 septembre 2009

" Voir, observer et penser", August Sander



Fondation Henri Cartier Bresson, Paris

du 9 septembre au 20 décembre 09



Représenter la multiplicité de la société, ou plutôt du genre humain, car rien de nationaliste n’entache ce projet. "Hommes du XXème siècle" : une grande mosaïque où chaque portrait relève autant de l’universel que du particulier. Le paysan, l’ouvrier, l’enfant, le peintre, le musicien, le boxeur, le gitan, le chômeur, l’idiot, le soldat aveugle, le nain, les forains..
Ecrire une histoire du siècle à partir d’individus est à ce moment-là hautement révolutionnaire, dès cette première guerre mondiale où tout tend à réduire l’histoire à celle des masses, des groupes, qu’on oppose en classes, nations, races..le projet d’une image du temps montrée dans la diversité, la multiplicité des regards individuels est alors hautement subversif. Les grandes idéologies politiques de ce début de siècle vont tout faire pour détruire ce sentiment d’individualité, où chaque vie humaine est irremplaçable, Tchakotine et Gustave Le Bon décriront ces phénomènes de massification de la société.

La première partie de ce projet photographique paraît en 1928 sous forme d’un livre intitulé Antlitz der Zeit (Visage d’une époque). Des portraits d’individus, jamais de foule, jamais de masse, toujours des visages frontaux, qui vous regardent et vous observent. Regard qui empêche l'objectivation de l'autre, sa chosification. Les hommes ne sont pas interchangeables, tous différents, tels ces deux boxeurs, l’un brun, trapu et souriant, l’autre timide, blond, élancé. Côte à côte, sans modèle, sans idéal, des corps imparfaits et vivants.
Jamais de portrait misérabiliste, de scène de genre, chaque homme dans sa dignité, que ce soit le vagabond, les fils de paysans en cravate et veston, ou les enfants d’ouvriers. Des regards directs, comme pour un album de famille. Une seule famille, que la multiplicité des clichés reconstitue et relie. Il n’y a pas un type d’homme, les hommes sont multiples.
L’art du portraitiste transparaît ainsi, son attachement à montrer le meilleur de chaque homme: dans une coïncidence entre l’image qu’il souhaite montrer et celle qu’il imagine de lui-même.
Tels ces nains, élégamment vêtus, ces paysans en vêtements de ville et chapeaux, ces enfants d’ouvrier dans leurs plus beaux habits, avec leurs jouets et animaux de compagnie. Dans toute leur humanité, dans une image qui ne les dévalorise pas. On imagine qu’ils auraient aimé qu’on se souvienne d’eux ainsi.

L'ouvrage sera interdit en 1936, mettre sur le même plan tous ces hommes si différents, leur donner le même espace photographique : vieillard, handicapé, politicien, colonel, mère de famille...
Pour l’homme national socialiste, il n’y a rien derrière ce corps, le corps parfait est la manifestation de l’idéal. L’intériorité n’existe pas, seul le groupe existe. La pudeur ne fait plus sens car les corps ne sont qu’un seul corps, celui de la race et de la nation. L’homme est son corps, sa force, sa nudité qui le rapproche d’une nature imaginaire : puissante et bestiale.
Pour Sander, aucune idéalisation ou esthétisation du corps humain montré dans sa diversité, ses différents états (vieillesse, maladie) apparaissent avec la même dignité. Son projet, qui n'est pas simplement documentaire, s'avère dans le contexte de l'époque, fortement éthique.
Il ne s’agit pas d’une simple série, présentant des types d’hommes, comme on classerait des objets, des plantes..car ces portraits vous regardent, vous dévisagent. Vous ne pouvez plus simplement les considérer comme représentants d’un groupe, d’une classe. Ils portent chacun leur histoire, leur sentiments, transmettent une émotion ou restent impassibles. Le regard triste du forain noir, le sourire de l’acteur ambulant, le regard égaré et interrogateur de Madame Sander portant ses jumeaux, le sérieux déconcertant de ces enfants de paysans.
Sander croyait à la physiognomonie : que de l'apparence transparaît quelque chose du caractère de l’homme, de son âme profonde, qu’il ne saurait cacher. Mais paradoxe : l’homme ne représente pas simplement une fonction sociale, il témoigne de quelque chose, sans se réduire à un homo faber. De par sa simple présence, sa posture qui le campe dans le réel. Parce qu’il nous regarde, parce qu’il regarde le monde. Que l’on accède ou non à son intériorité, qu’il nous dévoile ou non son humeur, ses sentiments.
Pour Sander, la photographie révèlerait ainsi d'une certaine manière la personnalité du sujet photographié. C’était aussi l’idée aussi d’une photographie « objective », ne reflétant rien du photographe, simple transparence vers son objet. L’idéal d’une photographie de la vérité, qui serait de même un langage universel, au-delà des temps et des cultures.

Mais cette idée d'une photographie "transparente", se voulant purement référentielle ou témoignage sociologique, a ses limites : l'image de l'autre ne dit pas tout : le langage visuel est bien loin d'être universel : d'où la difficulté que l'on a parfois à reconnaître les connotations originales de certaines images d'un autre lieu ou d'une autre époque..

Parallèlement à ces portraits, sont exposées des photographies de paysages et de botanique, qui illustrent le rapport entre la plante et son milieu, son humus / les liens profonds entre vivants, terre, herbes, végétaux, pluie..
Les paysages de montagne, apparaissent comme des lieux de contemplation, où ne prennent place ni exploits ni conquêtes. Montagne qui nous relie à l’au-delà du monde, aux nuées, à l’invisible, aux mouvements changeants du ciel. A cet immatériel qui se joue de la lumière.


Bibliographie :

Catalogue de l’expo : Voir, observer et penser, éd. Schirmer, Mosel, 176 p. préface d’Agnès Sire, intro de Gabriele Conrath-Scholl, contient la traduction de la conférence radiophonique « La photographie langage universel » (1931)

August Sander, Actes Sud, coll. photopoche, intro de Susanne Lange (1995), notice biographique et bibliographie, 2008, 4ème éd.

www.henricartierbresson.org

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philosophe, spécialisée dans l'éthique de la communication et de l'information.