vendredi 2 avril 2010

The soldier's Tale, film de Penny Allen




























réalisation Penny Allen, 54 min. 2008
Sortie le 24 mars, Paris, cinéma Reflet Médicis

Prix du regard sur le crime, Visions du réel, Festival international du documentaire, Nyon, 2009


Une rencontre fortuite dans un vol transatlantique. Penny se trouve placée à côté d'un militaire américain, venant juste de quitter l'Irak le matin même, le sergent R. lui parle de son périple, lui montre des images sur son ordinateur. Films et photos prises durant son engagement. L'enfer dit-il. Il veut témoigner. Opérations militaires filmées en direct, cadavres déchiquetés, prisonniers entravés. Tout cela fait vraiment penser à Abu Graïb. Sur le moment Penny ne veut pas voir ces images. Choquantes, violentes. Il veut témoigner, il est choqué. Elle est écrivain.

Quelques semaines plus tard, le sergent R lui envoie un DVD. De nouveaux films, réalisés sur le terrain. Des montages, des photos de la vie des américains en Irak. Entre vie de potache et horreurs quotidiennes. Les images du blindé détruit où son meilleur ami brûla. Des corps mutilés d'irakiens collaborateurs. Penny Allen choisit de raconter dans un film l'histoire de cette rencontre, y intègre les images du sergent R et de ses collègues.

Il veut montrer qu'ils ne sont pas ce que l'on dit. Que les irakiens aussi font des horreurs. Décapitent leurs prisonniers, tuent des enfants etc.
Il veut montrer la réalité de ce qui se passe là bas. Qu'ils aident aussi les populations. Mais ce n'est pas vraiment l'impression que donnent ces films. Ambiguïté terrible.
Il parle aussi de ses remords, de ce qui le hante. Cet enfant qu'il a tué par erreur.

Elle retourne ensuite aux USA pour l'interviewer dans un motel, au milieu de nulle part. Il apporte son ordinateur pour lui montrer d'autres images. Beaucoup de cadavres défigurés. Ils se le échangent avec ses anciens camarades, les collectionnent. Il avoue les avoir beaucoup regardées au début. Impossible d'oublier si vite. La transition avec la vie "normale" est presque impossible. Lorsqu'il veut parler de ce qu'il a vécu, de ce qu'il a fait, les autres fuient. Ne veulent rien entendre. Sa femme l'a quitté lorsqu'il lui a montré ses films, le prenant pour un fou, un monstre.
Il les conserve dans son ordinateur. Mais ne les regarde plus très souvent. Il avait besoin de ces traces. Pour être sûr de ne pas oublier. Une mémoire quelque part.


Mais déjà, il songe à retourner en Irak. Lui qui en parlait comme de l'enfer quelques mois plus tôt. Incompréhensible pour Penny. Il s'explique ou se justifie plutôt: problèmes d'argent, divorce, besoin d'une couverture maladie pour son fils et puis n'arrive pas à supporter son emploi à l'usine. Salaire minable, routine, vide, ennui. Et puis il n'aura pas de retraite si il n'y retourne pas, il faut 20 ans de service dans l'armée..

Mais aussi l'Irak lui manque, l'excitation des missions, la tension, l'impression d'agir et surtout ses camarades de combat. La seule famille qu'il lui reste. Qui comprend ce qu'il a vécu, ce qu'il est devenu. Il veut y retourner pour former d'autre soldats, pour leur apprendre à survivre, leur montrer ces détails qui leur sauveront la vie.
En fait il est déjà trop loin de la vie "normale", il ne sait plus ce que c'est.


Après la séance, Penny Allen commente son film, leur film. Penny et le sergent R. sont restés en contact, ils se téléphonent une fois par mois.
Elle raconte la suite de l'histoire.. Le sergent R est retourné trois fois en Irak.. Jusqu'à ce qu'il soit blessé. Les militaires disent, c'est toujours la troisième fois…. De retour aux USA pour se faire soigner, il est à l'hôpital. Elle n'a pas encore de nouvelles de son opération. S'il guérit, il y retournera, il n'a pas encore ses 20 ans de service..


Un fort malaise surgit des propos du sergent R. Victime et bourreau se mêlent. Tout semble confus. J'obéissais aux ordres dit-il. Si un supérieur me dit de faire quelque chose, je le fais. Le parcours complexe d'une vie entre choix, contradictions, mauvaise foi . Où l'on fait l'inimaginable, presque naturellement, par glissements successifs, de misère sociale, à misère affective, dans un contexte où tout est organisé pour cela. Pour que cet enfer apparaisse comme la seule solution pour donner un sens à votre existence, une cohérence. Seul le retour à la vie civile est problématique.. Là les valeurs s'entrechoquent. Ce qui là-bas était normal est devenu monstrueux, inhumain. Mais le retour était-il vraiment prévu pour ces hommes-là ?

http://www.pennyallen.info/frsold.htm

Qui êtes-vous ?

philosophe, spécialisée dans l'éthique de la communication et de l'information.